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Résumé de l’épisode précédent : Alice et Thomas continuent leur expérience au « LAB ». Nicolas leur a proposé d’intégrer chacun un groupe projet afin d’observer leurs méthodes de travail. Alice a participé à une séance de clarification de la problématique d’un client. C’est au tour de Thomas de suivre un groupe projet.
L’Innovation à tous les étages
Thomas a choisi de rejoindre un groupe projet sur un sujet qui lui parle : le développement commercial.
BOTY, une société de cosmétiques a sollicité le « LAB » pour identifier les nouveaux axes de développement commercial envisageables. Leur objectif est d’augmenter leur CA de 30 % d’ici 1 an. La demande formulée au « LAB » est de les aider à identifier comment booster leur volume de ventes.
Le développement commercial, ça le connait, Thomas ! Il va les faire profiter de son expérience mais ce qui le met à l’aise, c’est qu’il a sûrement beaucoup de choses à leur apprendre… Vu leurs méthodes, pas sûr qu’ils aient vraiment le sens des réalités terrain.
Le groupe de collaborateurs du « LAB » que Thomas rejoint, est composé d’une personne du marketing, d’une facilitatrice, d’un chargé d’études “quali” et d’un responsable de la relation client.
Selon la demande du commanditaire, ils sont supposés accompagner la direction commerciale pour lui permettre de motiver ses équipes à explorer de nouveaux canaux de distribution.
Ils ont préalablement procédé à un audit chez le client, pris connaissance du réseau de distribution actuel ainsi que de la performance de chacune des gammes de produits et cela, dans les différents types de points de vente.
Dans un premier temps, Thomas reste en retrait et attend de voir comment ils vont s’y prendre. Au fond de lui il se dit qu’aucun d’eux n’a autant d’expérience que lui sur le sujet. Il attend le moment opportun pour leur exposer son point de vue…
Charlotte, du marketing, commence par partager les données sur la situation actuelle de l’entreprise et les représente graphiquement sur la partie gauche d’un grand board.
Puis à l’extrémité droite du même board, elle inscrit l’objectif visé par le client, mais elle le multiplie par 2… Ce n’est pas +30% mais +60 % qu’elle pose comme objectif cible.
Thomas ne peut s’empêcher de réagir !
– Je crois que tu t’es trompée, ou bien tu n’es absolument pas réaliste.
– Pas du tout lui répond Hugues, le responsable de la relation client, l’entreprise a déjà saturé son réseau de distribution potentiel qui correspond au public ciblé par sa gamme de produits. Développer sa performance commerciale en suivant la même logique que ce qu’elle a appliqué jusqu’à présent lui permettra au mieux de réaliser 10% de CA supplémentaire en négociant bien avec les distributeurs.
Compte tenu des investissements qu’ont généré la mise à niveau de leurs sites de production, s’ils ne procèdent qu’à une évolution incrémentale cela ne suffira pas. Ils doivent réenvisager toute leur stratégie de développement : la création de produits complémentaires ou de nouveaux produits pour augmenter le panier moyen de leur clientèle actuelle, par exemple, anticiper les besoins de ses clients, prévoir les tendances futures, revisiter leurs processus de fabrication pour éventuellement réduire les coûts et délais, booster leur notoriété avec une stratégie marketing solide et novatrice, envisager de nouveaux partenariats, etc.
Tu vois, ce n’est pas qu’une question de performance commerciale ! Cette approche, qu’on appelle l’effet « Shinkansen* » consiste à multiplier l’objectif initial par 10. Cela implique de revisiter tous les paradigmes du processus de production et de distribution et de s’engager dans une démarche d’innovation radicale pour faire un vrai saut quantique. C’est sur ce principe que le Shinkansen, le fameux train japonais a été conçu pour devenir dans les années 60, le train le plus rapide du monde, atteignant à l’époque 200 km /h…
Thomas reste sans voix. Il n’a jamais raisonné comme ça, ça lui parait irréaliste.
– Mais l’innovation produit, le marketing, la fabrication… c’est l’affaire des experts en charge de ces sujets dans l’entreprise. S’il faut avoir des compétences à tous ces niveaux, c’est injouable … Chacun son métier et ses responsabilités !
– Ça c’est une vision réductrice. Nous envisageons l’innovation dans une dimension globale, systémique dans laquelle tous les acteurs sont mobilisés et réfléchissent ensemble.
Il y a plusieurs degrés d’innovation. De l’innovation incrémentale, une démarche par petits pas, qui consiste en gros à améliorer l’existant et rester dans un marché déjà connu et souvent très concurrentiel, à l’innovation radicale qui va aller jusqu’à provoquer le changement d’habitudes et de comportements des usagers, comme cela a été le cas pour le Smartphone. Ce type d’innovation nécessite de revisiter les paradigmes à tous les niveaux.
Thomas est déstabilisé. Il a toujours pensé que le commercial était le « nerf de la guerre » dans une entreprise et à ce titre, il se sentait détenir un pouvoir indiscutable puisque c’était principalement de lui dont dépendait le résultat de l’entreprise.
Cette nouvelle donne ne le séduit pas du tout. Ça nécessite de réfléchir de concert avec d’autres experts et de devoir se plier et s’adapter à d’autres points de vue et à de vrais changements de méthodes…
Comme s’il avait entendu les pensées de Thomas, Hugues enchaîne :
– Tu as beaucoup entendu parler d’intelligence collective et de créativité ici, au « LAB ». Sans ces deux compétences, les systèmes stagnent. Nous ajoutons à cela la vision systémique qui va de pair avec l’intelligence collective.
Dans nos groupes de travail, nous réunissons des visions multiples. Nous impliquons plusieurs expertises dans la réflexion quel que soit le sujet car nous abordons tous les sujets de façon systémique. Nous invitons ainsi nos clients à envisager leurs problématiques et leurs solutions de cette façon-là.
La créativité, bien sûr, est indispensable à toutes les étapes. Elle va permettre d’aborder les sujets avec des modes de pensées ouvertes, en raisonnant par analogie, en faisant un détour inspirant par les métaphores, ou encore en envisageant de multiples options altératives.
Elle nous pousse à l’agilité : ne pas rester figés sur nos premières idées, rebondir sur les idées des autres, s’inspirer, tester, obtenir des feedbacks, améliorer…
Elle nous rend curieux et nous invite à explorer des univers que nous ne connaissons pas encore. Elle nous permet également d’oser exprimer ce qui peut nous paraître extravagant sur l’instant mais s’avérera être LA solution différenciante.
– Ça me parait très compliqué par rapport à ce que j’ai appris et à mon expérience… Ça fait 15 ans que je suis commercial. J’ai toujours « cartonné » jusqu’à maintenant, argumente Thomas.
– Mais que viens-tu chercher au « LAB » alors, lui demande Alexandra, la facilitatrice ?
– Ce n’est pas moi qui ai souhaité faire cette expérience ici… Mon PDG qui a été accompagné par une de vos coachs a ensuite organisé un séminaire pour notre CODIR. Ils ont visiblement été contaminés par votre vision des choses car à la suite de ce séminaire ils ont décidé de revoir le fonctionnement et la stratégie de développement de l’entreprise. Je ne suis pas ici par choix, cela m’a été imposé.
– OK, je comprends. J’espère sincèrement que tu pourras trouver ton nouvel équilibre avec nos méthodes. Tu verras qu’elles sont autant bénéfiques pour les personnes que pour l’entreprise.
Nous serons là pour t’éclairer quand tu en auras besoin, sens-toi libre de nous solliciter quand tu le souhaiteras.
Thomas est déconcerté. Tout ça le dépasse et le chamboule. Ses méthodes qui ont fait leurs preuves jusqu’à présent sont remises en question. Celles qu’il découvre sont inconfortables pour lui car il n’en pressent pas encore la pertinence et, cerise sur le gâteau… il sent bien qu’il n’a pas le choix s’il veut rester dans son entreprise, à laquelle il est attaché.
Tout se bouscule dans sa tête. Il aimerait aborder tout ça avec autant de sérénité qu’Alice mais ses enjeux ne sont pas les mêmes.
Il doit faire son feedback sur ces méthodes mais tout est en désordre dans son esprit…
*Voir article annexe : L’effet Shinkansen
Pour aller plus loin :
Une approche systémique de l’innovation